Le Parrain ne nous a-t-il pas appris que la seule richesse en ce monde, ce sont les enfants ? Eh bien, avec toi, Nearco Corleone, mon dernier-né, je suis définitivement l'homme le plus riche et le père le plus fier du monde mafieux.

Si j'avais à te décrire en quelques mots, je parlerais sans hésitation et sans réserve d'une ascension fulgurante vers l'excellence mafieuse. Mafieusement parlant, tu n'as maintenant plus rien en commun avec cet enfant qui nous est arrivé du Crime Syndicate au milieu de l'année 2015, pas plus d'ailleurs qu'avec ce jeune homme qui nous a quittés l'année dernière dans les circonstances que chacun connaît désormais. Aujourd'hui, c'est un homme accompli qui revient parmi les siens. Celui que je vois se tenir en face de moi est un mafieux d'excellence. Comme je l'ai dit lors de la cérémonie d'avant-hier, tu t'es fait l'auteur d'un saccage magistral, sans l'ombre d'un doute le plus gros coup réalisé depuis au moins cinq ou sept ans, si ce n'est davantage, ainsi que de la plus belle infiltration de tous les temps.

On a également pu m'entendre dire que tu es l'un des meilleurs mafieux qu'il m'ait été donné de rencontrer en plus d'une décennie, et c'est la stricte vérité. Les mafieux, j'en ai rencontré des milliers et connu des centaines. J'ai côtoyé de près ceux qui sont considérés — à juste titre ou pas d'ailleurs — comme étant les meilleurs, des bonhommes de la trempe de Krapule, et ai souvent été amené à travailler avec eux. S'il y a un avantage au fait d'être une antiquité, c'est bien, dans mon cas tout du moins, ce privilège d'avoir formé les meilleurs mafieux de ma famille. Je les ai formés eux, j'ai formé leurs formateurs, les formateurs de leurs formateurs et les prédécesseurs de leurs prédécesseurs. Sois donc assuré que je sais mieux que quiconque de quoi je parle. Et toi, Nearco, j'affirme que tu es fait du même bois que les quelques mafieux d'excellence avec qui j'ai eu l'immense honneur de collaborer. Tu es la réunion harmonieuse de ces qualités que la Sacra Corona Unita et moi-même aimons tant : tu es intelligent, mais ton intelligence n'est pas de l'ordre de la détestable et ridicule connerie académique qui fait la fierté de tant de guignols, mais plutôt le parfait équilibre entre le machiavélisme des cerveaux et la roublardise des brigands ; certes, tu es cruel et impitoyable, froid comme le marbre, mais tu n'en demeures pas moins un véritable homme d'honneur, riche des valeurs que nous avons élevées et qui nous ont élevés au pinacle. Force, honneur, fierté, respect. Tu n'es pas de la race de ces bouffons qui courent les rues. Tu es un vrai, comme on dit chez nous. Les plus jeunes mafieux d'entre vous se demandent comment atteindre l'excellence mafieuse ? Suivez Nearco et rien ne saurait jamais plus vous détourner de la voie suprême.




Sur l'évènement en lui-même, il y a beaucoup à dire. Ce saccage fait immanquablement penser à l'épisode du Crime Syndicate, à ceci près qu'il ne s'agissait cette fois-ci clairement pas d'une organisation de second rang. D'abord rapprochement, puis rébellion et enfin punition. Traditionnel processus en trois étapes. Oui, l'histoire a ce trait amusant qu'elle se répète. Une mafia prend de l'importance. Dans un premier temps, elle fait le choix de la prudence et sympathise avec la Sacra Corona Unita, pensant ainsi réaliser une opération stratégique de premier ordre, alors qu'elle se contente en réalité, seulement et uniquement, de capitaliser sur notre gentillesse et sur le désintérêt qu'elle représente à nos yeux. Cela lui permet, croit-elle, de se développer tranquillement en se mettant à l'abri du seul adversaire réellement dangereux. Mais cela ne dure pas. Il arrive un jour où survient le deuxième moment d'un scénario dorénavant classique, suranné, vu et revu. Pensant avoir atteint un certain stade de développement et une autonomie suffisante, ses dirigeants, dans un élan d'orgueil, pèchent par manque de lucidité et se laissent aller à une dangereuse prise de confiance. Ils se dressent contre nous, ou pire, comme ce fut ici le cas, nous déclarent la guerre. Officiellement ou officieusement, qu'importe, c'est un peu comme si provoquer ma famille constituait aux yeux de tous ces fantaisistes un point incontournable, une étape obligatoire, une manière, la meilleure, de se prouver quelque chose. Un genre de rite de passage tribal de l'enfance à l'âge adulte. Mais il est des rites auxquels on ne survit pas.

Lorsque vos organisations se saccagent entre elles, ces évènements sont annonciateurs tantôt de changements, tantôt de bouleversements. Mais quand ma mafia détruit une autre mafia, il ne s'agit jamais que de confirmation et de continuité. Là où vos réussites, au prix de grands efforts, n'annoncent que des nouveautés, nos destructions n'annoncent rien du tout ; elles confirment, et puis c'est tout. Aujourd'hui, plus que jamais, il y a des mafias et il y a La Mafia. La nôtre. S'il nous est arrivé de définir le RPG Mafia comme un combat d'arrière-plan pour la deuxième place du podium, ce n'était pas comme vous vous en persuadiez alors le résultat de notre vanité, mais le fruit de notre lucidité et de notre souci de l'exactitude. Les organisations, tout comme les mafieux, n'évoluent pas dans la même catégorie. Comment donc avez-vous pu imaginer, ne fût-ce qu'un seul instant, qu'un mafieux de la qualité de Nearco, un mafieux qui, de surcroît, nous avait connus personnellement et travaillé directement avec mon Grand Conseil, aurait pu, d'une quelconque manière, apprendre à se contenter de... de vous ? Absence totale de clairvoyance. Vous dites que sous-estimer ses adversaires est dangereux. Le raisonnement n'est pas faux, juste incomplet ; il convient d'ajouter que la surestime de soi est un piège plus périlleux encore. Et ce piège, vous êtes tous tombés dedans.

Je pense et j'ai toujours pensé que la communauté mafieuse, y compris ses membres les plus jeunes et les moins gradés, ont le droit de savoir ce qui se passe derrière les rideaux du RPG Mafia, dans les coulisses des Grands Conseils. Immédiatement après notre saccage du Crime Syndicate, par exemple, nous avions tenu à publier le récit véridique et détaillé des évènements sur plusieurs mois : rapprochement, rébellion, punition. Comme vous. Et cela avait plu. Dans votre cas, les gens ont le droit de savoir à quel point Nearco, tout seul, s'est joué de tous vos dirigeants réunis, vous a manipulés du début à la fin avec un talent certain et une facilité déconcertante, tout comme ils ont le droit de savoir que vous nous aviez déclaré la guerre quelques jours plus tôt. Il faudrait que quelqu'un écrive pour raconter tout cela. Je le ferai un de ces jours, si je trouve un peu de temps à vous accorder. Je le ferai avec humour, je vous le promets.




Deux regrets cependant. Le premier, vous vous en doutez, ne pas avoir pu peaufiner le Fangtasia comme nous l'aurions voulu. Il faut dire que l'irruption au bout de quelques secondes du « retraité » Jagger.Jack le mardi de la rentrée à cinq heures et demie du matin fut pour le moins surprenante. Soit dit en passant, ses membres savent désormais que les accrédités récents, jusqu'aux dirigeants eux-mêmes, sont ridiculement surveillés pour ainsi dire vingt-quatre heures sur vingt-quatre pendant plus de deux semaines. Second regret, car il faut dire ce qui est : que la pauvreté des appartements ne nous ait pas permis de proposer des sigles à la hauteur de l'évènement. Les mafieux les plus anciens regretteront cette époque où l'on siglait avec des trônes de Norman et non avec des blocs USVA loués.

Pour finir, je n'ai aucun doute quant au fait que vous vous montrerez bons perdants. En définitive, c'est ce que vous avez toujours été : de bons perdants. En ce jour, Nearco vous reconduit aux portes de votre destin, le même qu'ont connu et subi quelque six-cents organisations de bonne taille : n'être au final, malgré tous les efforts du monde, qu'une ligne parmi d'autres dans la grande histoire de ma famille. Ou plus exactement, dans votre cas, quatre lignes.

Et si je n'ai pas parlé en ce qui vous concerne de destruction, c'est bien parce que je sais que votre aventure funeste ne fait que commencer. Croire que le pire est derrière vous serait vous méprendre une fois de plus. Pour tout dire, ce saccage, en réalité, est à la fois une fin et un début : la fin d'une infiltration certes, mais surtout le début de votre fin.




Davanti.